lucane a écrit :
Une vraie langue le patois ? Y a t-il une hiérarchie entre langue et patois ? Est ce vraiment du mépris quand on désigne sous le nom de patois un parler local qui permet de communiquer et de ce fait doit être à considérer comme une langue.
Le patois pour bien des personnes est la langue de la famille, de la mémé ou des voisins et n'est pas considéré avec mépris mais les Creusois auraient tout intérer à parler d'occitan pour désigner leur langue.
En linguistique, le terme "patois" ne signifie rien. C'est d'ailleurs un concept unique au monde. Seuls les anglo-saxons parlent de "patois" pour la Jamaïque par exemple, ou l'on parle une sorte d'anglais particulier, un peu déformé... En France, seuls quelques irréductibles continuent à l'employé, souvent par provocation, ou alors comme Henriette Walter pour parler d'un micro-parler, d'une petite variante d'un dialecte... C'est en réalité un mot inventé de toutes pièces popularisé par les élites françaises au 18ème, qui visaient à l'unification linguistique de la France pour instaurer la République une et indivisible. Voici la spécificité française, qui n'a pas son pareil dans le reste de l'Europe ou les langues régionales sont bien admises et souvent officielles (Italie, Espagne, Royaume-Uni...) : nous avons, ici, pensé que la pluralité culturelle menaçait la République, que la différence était un danger.
Quant au terme "patois", il est d'abord dépréciateur : "La régression parle patois, la liberté parle français" était un slogan des révolutionnaires (différentes variantes sont connues). Le patois, c'est donc ainsi que les gouvernants, secondés par les notables locaux et puis l'Education nationale, nommaient tout ce qui n'était pas du français (occitan, catalan, breton, alsacien, picard, basque etc...). C'est cette idée de non-langue, et dans notre cas en Limousin de "mauvais français" (puisque notre langue, latine, est proche de la langue unique), voire de baragouinage, qui a été inculqué à nos arrière-grands-parents... Bien sur, en secret, les Limousins ont gardé une certain amour de leur "patois" parce-que, bien qu'on leur dise qu'il ne s'agit pas d'une langue mais d'un parler d'arriérés, ils sentaient au fond d'eux que cette langue millénaire du pays était la leur... Début 20ème, par contre, l'Education nationale a durci son attitude concernant le patois (profitant de la scolarisation enfin généralisée) et a interdit plus sévèrement l'usage de l'occitan aux enfants. La langue est donc devenue la langue de la famille, du village, mais dans l'esprit des gens, malgré l'aspect affectif et sentimental, s'est vraiment installé l'idée que c'était un parler indigne... Résultat: les occitanophones nés entre 1920 et 1945 on arrêté de transmettre la langue à leurs enfants. Combien de Limousins qui ont aujourd'hui 50 ans ou plus nous disent "mes parents parlaient patois entre eux mais ne me parlaient qu'en français... ils n'ont jamais voulu que je le parle"... Et oui, on leur avait appris à l'école que cette sous-langue de les mènerait à rien, et ils n'ont pas pensé que celle-ci disparaitrait à vitesse grand V s'ils ne la transmettaient pas à leurs enfants. Pourtant, leur amour pour leur langue, qu'ils appellent donc eux-même "patois", est resté vif, et beaucoup regrettent aujourd'hui leur attitude. je collecte beaucoup chez des vieux en Creuse (souvent + de 75 ans) qui ont l'impression de s'être fait piéger par le système. Ils se sentent un peu coupables aussi de ne pas avoir appris la langue à leurs enfants, et ont aujourd'hui la larme à l'œil en me disant "et oui, il est en train de mourir notre patois, et c'est bien dommage, c'était la langue d'ici, la langue de notre pays..."
En clair, la France n'a pas su comprendre que l'on pouvait construire une République sans annihiler les cultures régionales, que l'on pouvait travailler en français tout en parlant occitan ou breton à la maison, et surtout que cette diversité linguistique était la richesse première de notre pays, car chaque langue est une façon unique de penser le monde et de l'exprimer. Donc plus les langues disparaissent, plus nous avançons vers la pensée unique...
Petite précision scientifique : Il y a la langue occitane, divisée en plusieurs dialectes intercompréhensible (limousin, auvergnat, languedocien, gascon, provençal, vivaro-alpin). A l'intérieur de ces dialectes il existe des parlers qui différent un peu mais c'est insignifiant : on ne prononce pas exactement l'occitan limousin pareil selon que l'on soit à Bourganeuf et à Périgueux, mais il y a tant de traits communs entre les deux parlers que les gens se comprennent parfaitement et facilement, on est bien ici dans le même dialecte, le dialecte limousin.
ps: ce message est long, il répond à un post de Lucane, mais les modérateurs voudront peut-être le déplacer vers un autre topic plus adapté...