La veille, empruntant les boeufs d'un voisin, nos vaches, quoique solides et dures à la peine n'auraient pas été assez fortes seules, on partait, vers le soir, chercher le matériel de battage : la lourde chaudière de fonte et de cuivre, et la batteuse proprement dite.
Dans nos charrières en pente, les vaches et les boeufs, les braves bêtes, s'arc- boutaient, les paysans les encourageant de la voix et de l'aiguillon, les "batteurs" serrant ou desserrant les freins, selon les besoins. enfin le matériel s'installait dans le coudert. Les spécialistes mettaient les cales, pendant que les voisins, aides bénévoles, se désaltéraient à la cuisine.
Le jour de la batteuse, le lendemain de son installation, mon père, avant le soleil levé, allumait le feu sous la chaudière remplie de force seaux d'eau. Un feu d'enfer, abondamment nourri de grosses bûches de bois - plus tard, de briquettes de charbon ( venues des mines, aujourd'hui fermées de Bosmoreau). Les "hommes de la batteuse" arrivaient, appelés par un coup de sifflet strident et prolongé. Un court arrêt à la maison pour avaler le café noir, préparé la veille ; le verre de vin, ou le coup de gnôle, et mon père indiquait à chacun sa place.
La vapeur de la chaudière animait les poulies autour desquelles s'enroulaient les courroies qui transmettaient à la batteuse le mouvement.
Celle ci était en bois. Les gerbers, hissées à l'étage supérieur, débarrassées des liens qui les tenaient serrées, passaient dans la machine. Le grain coulait dans les sacs fixés sur le côté, soigneusement enlevés et remplacés.
Chez nous, on choisissait les gars les plus forts pour les mettre aux sacs : on ne pesait pas : on connaissait la contenance exacte des sacs : un sac pour le maître, un sac pour le métayer. Il fallait parfois porter ce fardeau assez loin.
A la queue de la batteuse la paille débarrassée du grain s'échappait. Une équipe la remettait grossièrement en gerbes, et la fourchait vers la grange, où on la tenait en réserve pour la litière des bêtes.
La batteuse ainsi allait son train, dans une véritable gloire de poussière, dans une envolée de de balle", on disait aussi "de barboule" c'étaient les débris des épis, les enveloppes légères des grains.
Une autre équipe armée de râteaux, entassait la balle qui se déposait sur le sol. Il arrivait qu'une voisine vienne avec un sac chercher de la balle d'avoine de préférence. Mise à l'abri, elle sécherait et emplirait "les balasses" des lits d'enfants.
Ces interventions étaient toujours des sujets de plaisanteries :
on apprenait ainsi les futures naissances.
Et les propos gaillards allaient bon train, harcelant la future mère, qui s'enfuyait en rougissant, et le futur père, bien obligé, lui, de rester !
![Clin d'oeil :wink:](./images/smilies/icon_wink.gif)
G Thévenot Une vie de creusois.